Journée d’étude IFRIS : « Les marchés mondiaux des technosciences », 30 Juin 2017 | Paris Descartes

Journée d’étude IFRIS

« Les marchés mondiaux des technosciences »

Vendredi 30 juin 2017

 

Université Paris Descartes – 45, rue des Saints Pères 75006 Paris

Salle des thèses – Bâtiment Jacob

Equipe organisatrice : Marine Al Dahdah (CEPED), Soraya Boudia (CERMES3), Mina Kleiche-Dray (CEPED), Mathieu Quet (CEPED), Simeng Wang (CERMES3).

 

Inscription obligatoire : marine.aldahdah@ceped.org

 

Programme


/// 9h-9h30 ///  Introduction générale de la journée par Rigas Arvanitis (IFRIS/CEPED), Marine Al Dahdah (CEPED) et Simeng Wang (CERMES3).

/// 9h30-10h30 /// « Les STS ont-elles un Sud ? »
Présentation de David Dumoulin (CREDA-IHEAL), Mina Kleiche-Dray (CEPED) et Mathieu Quet (CEPED), discutée par Kapil Raj (CAK).
/// 10h30-11h ///  Pause-café

/// 11h-12h ///  « ‘Asia’ as a place and category in global biomedicine »

Présentation d’Itty Abraham (National University of Singapore), discutée par Guillaume Lachenal (SPHERE)

/// 12h-13h /// Déjeuner

/// 13h-14h /// « Multinationales et marchés mondiaux des technosciences : contrôles, résistances et débordements »
Présentation de Maurice Cassier (CERMES3), discutée par Joël Ruet (CEPN)

/// 14h-16h /// « Quelles perspectives de recherche sur les marchés mondiaux des technosciences? »
Table ronde animée par Soraya Boudia (CERMES3) avec Jean-Paul Gaudillière (CERMES3), Anne-Marie Moulin (SPHERE), Johanna Siméant (CMH)

 

Présentation de la journée

Le déploiement des études sociales sur les sciences dans des espaces géographiques situés « hors d’occident » a provoqué ces dernières années de nombreux questionnements féconds. Les travaux qui s’en sont saisis ont apporté des éclairages sur la modernité, sur la persistance et le renouvellement des formes de pouvoir et de résistance dans un monde globalisé, sur l’écheveau complexe de technologies et de savoirs qui analysent les sujets dans des flux à la fois locaux, nationaux et transnationaux, publicisés et privatisés, singularisés et standardisés. Plusieurs courants de recherche sont à l’origine d’un tel rapprochement. Les études historiques ont joué un rôle important dans cette rencontre, notamment à travers les travaux pionniers du groupe international « Science et Empire » (Petijean, Jami et Moulin, 1992) ainsi que ceux se réclamant des différents courants de l’histoire globale, transnationale ou connectée (Cook 2007 ; Schaffer, Roberts, Raj et Delbourgo, 2009, Romano 2014) ou ceux mobilisant la notion de Technopolitics (Hecht 2012). De même les études sur les rapports entre sciences et développement, notamment en France  (Waast 1996) et les études analysant les systèmes scientifiques en Amérique latine, Afrique et en Asie ont permis de poser les bases d’une réflexion sur le rôle des technosciences – qui entre science et techniques constituent les dispositifs, les normes, les agencements d’individus selon certaines règles et les processus de standardisation des objets marchands – dans les interactions entre pays classés selon leurs revenus comme indicateurs de leurs niveaux de développement différents. Par ailleurs, les travaux issus des approches postcoloniales ou des études culturelles (cultural studies) ont également questionné les sciences et les techniques, contribuant à faire de la question des technosciences en société l’enjeu d’une « géopolitique des cultures » (Dumoulin, Kleiche-Dray et Quet, en cours). Enfin, plus récemment, des chercheurs du domaine des Science and Technology Studies (STS), en mobilisant souvent une approche ethnographique, ont déroulé leurs recherches dans des aires géographiques et culturelles diverses (Fortun 2001), se référant parfois aux approches postcoloniales et appelant à cesser de cantonner le domaine STS aux pays les plus industrialisés et les plus riches (Anderson, Adams 2008).

Les travaux associés au champ émergent des « études postcoloniales sur les sciences et les techniques » ont défriché de nombreuses pistes qu’il est difficile de résumer succinctement ici. Nous retiendrons que de nombreux travaux ont mis l’accent sur les différentes formes de circulation d’objets matériels, de pratiques et de savoirs, d’acteurs et d’instruments de gestion et le rôle de ces circulations dans des reconfigurations sociales et politiques locales, nationales et transnationales. Plusieurs de ces travaux ont ainsi insisté sur les circulations et les différentes formes de relocalisation à travers lesquelles des pays sous domination impériale ont à la fois servi de site d’expérimentation et fourni des outils de gouvernement employés dans de multiples contextes – les travaux de Keith Breckenridge sur les techniques biométriques et la prise d’empreintes digitales en Afrique du Sud sont révélateurs à cet égard (Breckenridge, 2014) – ou aussi bien des armes d’émancipation comme dans le cas des tests d’ADN ré-appropriés par les familles en Argentine après la dictature (Adams-Smith, 2016). Ils ont soigneusement analysé la diversité des formes à travers lesquelles le nexus des technosciences et du capitalisme est aujourd’hui renouvelé et l’importance du contexte géographique et historique dans lequel celui-ci a lieu, comme le fait Kaushik Sunder Rajan dans ses travaux sur la recherche biotechnologique en Inde (Sunder Rajan 2006; 2017).

De très nombreux autres travaux pourraient être mentionnés pour leur contribution aux avancées du domaine STS et plus généralement à la construction d’une meilleure – plus adéquate, plus juste – prise en compte du global par les sciences sociales dans un monde postcolonial. Une première catégorisation de ces travaux fait émerger au moins deux tendances de fond. D’un côté, une approche « foucaldienne » met en évidence les outils et les logiques du gouvernement des technosciences à l’œuvre dans les rapports Nord/Sud ; de l’autre une approche « latourienne » s’est montrée plus intéressée par la pluralité des épistémologies, des ontologies et la composition des mondes communs à l’œuvre dans les interactions entre différentes cultures, différents savoirs, différents actants. Ces approches, malgré leurs nombreux apports, ont rarement placé au centre de leur analyse les questions économiques, et notamment l’étude de la construction des marchés, inséparable pourtant de l’expansion des technosciences. Plusieurs travaux montrent aujourd’hui l’intérêt de s’interroger sur les reconfigurations scientifiques et techniques à travers lesquelles se déploie la logique capitaliste, en mettant en évidence l’enchevêtrement entre les constructions de marchés, les formes politiques et les tensions géopolitiques (Mitchell 2002 et 2011). Nombre de ces travaux questionnent les nouvelles formes de travail et de “commodification” à l’œuvre sur les marchés, comme par exemple à travers l’émergence de marchés transnationaux des services systémiques (Boisvert, 2015), des produits du sang, des gamètes, de la gestation (Cooper, Waldby,  2014), mais aussi dans le cadre de produits ou de marchés locaux (circuits courts, slow food). D’autres recherches, consacrées souvent aux questions environnementales et énergétiques, en s’inspirant des apports des travaux sur les systèmes-monde (Wallerstein 2004, Amin 1973,) et de ceux de l’écologie politique (Martinez-Alier 2002), tentent de saisir la structuration sur le long terme des inégalités entre différentes régions du monde en étant particulièrement attentifs au rôle des techniques et des flux de matières (Hornborg 2013; Malm 2016).

Dans le cadre de cette journée d’étude, il nous semble pertinent de se pencher sur les liens entre marchés et technosciences dans une perspective mondiale. La perspective STS proposée invite à articuler des approches en termes d’économie politique avec une compréhension matérialiste de la construction des marchés, à travers l’étude de la construction et circulation de savoirs, des matières, des opérations logistiques, de la production de normes techniques et politiques et de systèmes de régulation. Elle invite également à être attentif aux enjeux culturels et politiques de ces constructions (à travers des circulations de personnes, des formes de domination et de résistances, etc.). En outre, il s’agit d’interroger dans quelle mesure les “technoproduits” (Pestre, 2014) de la technoscience montrent une spécificité : en quoi le fait que nous ayons affaire à des « commodités technologiques » (ou produits technomarchands) modifie la façon dont se construit la mondialisation ?

La perspective proposée ici sur les marchés des technosciences vise à approfondir certaines tendances du courant des approches postcoloniales des sciences et des techniques, en soulignant la centralité du marchand dans les interactions aux revenus et niveaux de développement différents, qu’il s’agisse de développement, de politiques d’extraction, d’accaparement des ressources, d’hégémonie scientifique et culturelle. Elle tente cependant de saisir ces questions à travers un prisme attentif aux enjeux politiques et conceptuels propres au domaine des études postcoloniales sur les sciences et les techniques, c’est à dire en tenant compte de l’apport des travaux précédents, venant aussi bien des études sur les rapports science et développement que des approches postcoloniales.

Aussi notre proposition d’une recherche collective sur “les marchés mondiaux des technosciences”  a pour objectif premièrement d’avancer dans l’élaboration d’un programme de recherche commun à partir des questions sur les rapports entre technosciences, marchés, interactions Nords/Suds et globalisation. Deuxièmement, nous souhaitons par la-même contribuer à la construction d’un courant des approches postcoloniales des sciences et des techniques en rassemblant celles et ceux qui portent un intérêt aux asymétries sociales, culturelles, politiques et économiques entre les différentes régions du monde. Cette journée d’étude est donc pensée comme une occasion de faire le point sur les différentes approches qui ont dominé et dominent aujourd’hui les études sociales sur les sciences et les techniques dans des contextes émergents et en développement. Elle vise aussi à faire partager un intérêt pour des courants de recherche plus vastes qui permettraient d’informer les débats, notamment les études culturelles et postcoloniales, l’écologie politique, les études de genre. Un tel passage en revue permettra de mieux dessiner les grandes lignes d’une discussion collective autour des travaux à venir. La proposition d’une recherche collective sur “les marchés mondiaux des technosciences” sera ainsi mise à l’épreuve au cours de la journée d’étude.

 

Références citées

Amin S., (1973), L’Échange inégal et la loi de la valeur, Éditions Anthropos, Paris.

Adams-Smith, L. (2016), “Identifying Democracy. Citizenship, DNA, and Identity in Postdictatorship Argentina”. In Pollock, A. and Subramanian, B. (Eds), Special Issue: Resisting Power, Retooling Justice: Promises of Feminist Postcolonial Technosciences, Science, Technology & Human Values.Vol. 41, Issue 6, p. 1037–1062

Anderson W., Adams V. (2008). “Pramoedya’s Chickens: Postcolonial Studies of Technoscience”. In Edward J. Hackett, Olga Amsterdamska, Michael Lynch, and Judy Wajcman (Eds.), The Handbook of Science and Technology Studies, (181-204). Cambridge MA: MIT Press

Cook H. (2007), Matters of Exchange: Commerce, Medicine, and Science in the Dutch Golden Age. New Haven and London: Yale University Press

Breckenridge K., (2014), Biometric State. The Global Politics of Identification and Surveillance in South Africa, 1850 to the Present, Cambridge University PressCooper M., Waldby C., (2014), Clinical Labor: Tissue Donors and Research Subjects in the Global Bioeconomy, Duke University Press

Dumoulin, D., Kleiche-Dray, M. et Quet, M. « Les STS ont-elles un Sud ? Penser les sciences dans/avec les Suds, RAC, en cours de publication

Fortun, K. (2001), Advocacy After Bhopal: Environmentalism, Disaster, New Global Orders, Chicago: University of Chicago Press

Hecht G. (2016), Uranium africain, une histoire globale, Paris, Le Seuil, coll. « L’Univers Historique », (1ère version en anglais 2012).

Hornborg A. (2013), Global Ecology and Unequal Exchange. Fetishism in a zero-sum world, Londres, Routledge

Martínez Alier, J. (2014). L’écologisme des pauvres. Une étude des conflits environnementaux dans le monde, Paris, Les petits matins, (1ère version en espagnol 2002)

Malm A. (2016), Fossil Capital. The Rise of Steam-Power and the Roots of Global Warming, Londres, Verso

Mitchell T. (2002),  Rule of Experts. Egypt, Techno-Politics, Modernity, Berkeley, CA: The University of California Press

Mitchell T (2011). Carbon Democracy: Political Power in the Age of Oil, Verso, Londres

Petitjean P., Jami C. et Moulin, A.-M. (eds.) (1992). Science and Empires, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers

Pestre D. (2014). Introduction. Du gouvernement du progrès technique et de ses effets, in Pestre D. (dir.) Le gouvernement des technosciences, Paris, La Découverte

Romano A., « Des sciences et des savoirs en mouvement : réflexions historiographiques et enjeux méthodologiques », Diasporas, 23-24, 2014, 66-79.

Schaffer S., Roberts L., Raj R. et Delbourgo J., The Brokered World: Go-betweens and Global Intelligence 1770-1820, Sagamore Beach MA, 2009

Sunder Rajan K. (2006), Biocapital. The Constitution of Postgenomic Life, Durham & London, Duke University Press

Sunder Rajan K., (2017), Pharmocracy: Value, Politics, and Knowledge in Global Biomedicine, Duke University Press

Waast R., (dir.) (1996), Les sciences hors d’Occident au XXe siècle, 7 tomes, Paris : ORSTOM Editions : On-line sur la Base Horizon Pleins textes, http://horizon.documentation.ird.fr

Wallerstein I. Comprendre le monde. Introduction à l’analyse des systèmes-monde, Editions de La Découverte, 2006 (1ère version en anglais 2004)

 

Programme au format PDF ici

⬆️