Directeur : Jean-Paul Gaudillière
Démarrage : 2011
Laboratoire CERMES3
Couvrant une période allant des années 50 à nos jours, ce projet de recherche porte sur l’histoire et les pratiques contemporaines de recherche sur la maladie d’Alzheimer et la dépression. L’objectif de ce projet est d’explorer les recompositions récentes de ces deux pathologies, tant du point de vue de leur définition que de leur traitement, en partant d’une analyse socio-historique des pratiques de modélisation animale. L’hypothèse centrale est qu’une reconstitution et une analyse des trajectoires de modélisation de ces deux maladies constituent un point d’entrée privilégié pour comprendre les tensions et les dispositifs d’articulation entre biomédecine et psychiatrie. En contrastant les scénarios de modélisation animale qui ont été développés pour la maladie d’Alzheimer et pour la dépression, il s’agira d’identifier les voies communes de leur évolution tout en soulignant les variations locales dans la production, l’utilisation et l’impact des systèmes expérimentaux.
Depuis les années 1960, les modèles animaux jouent un rôle croissant dans le domaine de la psychiatrie et le champ de la santé mentale, en particulier du fait du développement des médicaments psychotropes. Pourtant, leur légitimité est réduite du fait même qu’il s’agit de modéliser des maladies psychiatriques, c’est-à-dire des maladies des affects, de la cognition, des émotions. Ces maladies difficilement prévisibles dont les causes sont encore mal connues sont justiciables d’une approche multifactorielle – incluant prédispositions génétiques, réactions biochimiques, facteurs environnementaux, configurations psychologiques et pratiques sociales – qui tend à multiplier les modèles, à questionner leurs traductions cliniques et à réduire leur durée d’emploi.
L’histoire et les pratiques contemporaines de recherche sur la maladie d’Alzheimer et la dépression sont d’excellents révélateurs de cette complexité. Les définitions, les traitements et la visibilité sociale de ces deux pathologies ont radicalement changé au cours des trente dernières années, pour partie en conséquence des pratiques de modélisation et des débats qu’elles ont suscités. Outre la tension classique de la modélisation animale entre variabilité des configurations cliniques et situation artificielle et contrôlée du laboratoire, chercheurs et praticiens ont été confrontés au défi de générer des processus pathologiques sans équivalents directs dans le monde animal. Peu d’espèces développent les symptômes cognitifs, comportementaux et neuro-pathologiques de la maladie d’Alzheimer. Parallèlement, aucune espèce animale ne manifeste spontanément l’entièreté des symptômes émotionnels, comportementaux et neurochimiques des troubles de l’humeur. Pour autant, les effets de la modélisation sont indéniables. L’expérimentation animale a conforté la lecture anatomo-pathologique de la maladie d’Alzheimer et la molécularisation des lésions tout comme elle a donné force et objectivité à la redéfinition de la dépression, en particulier les formes graves, en termes de causalité biochimique et de métabolisme des neurotransmetteurs.
Mon projet de recherche porte sur les scénarios de modélisation de la maladie d’Alzheimer et de la dépression, c’est-à-dire sur la trajectoire historique de chaque maladie abordée du point de vue de la production, de la propagation, de l’utilisation, de la juxtaposition et du déclin des différents modèles. En contrastant les scénarios de modélisation animale qui ont été développés pour la maladie d’Alzheimer et pour la dépression, il s’agira d’identifier les voies communes de leur évolution (par exemple, les transformations qui renvoient à l’essor et à la valorisation intellectuelle et matérielle des technologies génétiques ou moléculaires) tout en soulignant les variations locales dans la production, l’utilisation et l’impact des systèmes expérimentaux. Le questionnement porte donc à la fois sur le type de travail et de ressources investi dans l’élaboration et la mise à disposition des modèles animaux ; sur leur intégration dans la recherche clinique et pharmaceutique ; sur leurs usages culturels, sociaux et politiques dans l’engagement des divers acteurs et communautés impliqués dans la lutte contre ces deux maladies. L’intérêt d’une comparaison entre maladie d’Alzheimer et dépression tient autant à leur positionnement différent sur le spectre allant des maladies neurologiques aux affections psychiatriques qu’aux scénarios de modélisation différents qui leur ont été appliqués.