Note de recherche N°2: Broca et Coriat, Le logiciel libre et les communs

Chercher à comprendre les liens entre le mouvement du logiciel libre (free software) créé par Richard Stallman et la théorie des communs (commons) désormais attachée au nom d’Elinor Ostrom, c’est d’abord observer une sorte de dissymétrie. Les défenseurs des communs décrivent souvent le logiciel libre comme un mouvement social emblématique de la résistance aux dynamiques contemporaines d’enclosure. En revanche, les principaux protagonistes du logiciel libre (développeurs, entreprises, associations, fondations) ne reprennent, dans l’ensemble, que peu le vocabulaire de la théorie des communs, même s’il leur arrive d’en reconnaître l’importance et de s’y référer.  Comment expliquer l’ignorance (relative) des « libristes » pour la théorie des communs ?

Le libre et le commun Broca Coriat 2014 Final

Cet article a pour premier objectif de mettre au jour les raisons historiques et culturelles, qui expliquent la persistance de cette légère distance entre le mouvement du logiciel libre et la pensée des communs. Il montre que les généalogies intellectuelles du combat initié par Stallman et de la théorie développée par Ostrom sont profondément distinctes, et que les développeurs de logiciels libres et les (autres) activistes des communs ont assez peu de référents culturels partagés. Ainsi, le free software est issu d’une réflexion sur les vertus de la circulation de l’information et il est l’héritier de pratiques propres au monde de la recherche en informatique. Cette tradition est historiquement étrangère à la théorie des communs, qui s’est construite comme une réflexion sur les régimes de propriété et les modes de gestion des ressources naturelles. Nous entendons ainsi montrer comment un groupe de juristes anglo-saxons critiques de l’extension des droits de propriété intellectuelle (Lawrence Lessig, James Boyle, Yochai Benkler) a été l’un des acteurs d’une rencontre majeure, en opérant le rapprochement intellectuel entre le logiciel libre et la théorie des communs, tout en incitant Elinor Ostrom à s’intéresser de plus près à ces enjeux.  Tout en retraçant l’histoire – peu et mal connue – de cette rencontre, cet article se propose ainsi de poursuivre le travail théorique de mise à jour des relations entre deux séries de constructions institutionnelles : les réalisations du logiciel libre d’un côté, les communs de l’autre .

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