Coordinateurs Jean-Paul Gaudillière (CERMES, INSERM-EHESS) et Pierre-Benoit Joly (TSV, INRA)
Objectifs
L’objectif de cette initiative est de revenir sur la dynamique de transformation des savoirs, des pratiques d’innovation et de production ainsi que des formes de régulation associées aux développements récents des technologies du vivant. Dans les années 1980, l’essor des procédures de manipulation des entités biologiques faisant appel aux outils du génie génétique a, du fait du caractère générique de ces procédures, conduit de nombreux acteurs à considérer qu’un secteur industriel nouveau, à l’intersection des mondes de l’agriculture, de la médecine et de l’environnement était en train de prendre forme. La vision d’un vivant unitaire alors nourrie par la simplicité et l’universalité des mécanismes de la génétique moléculaire, « de la bactérie à l’éléphant » comme le disait Jacques Monod, pouvait-elle fonder une pratique unifiée ? Certains grands groupes ont pensé que c’était le cas et ont mis en œuvre des stratégies globales dans les biotechnologies. Un quart de siècle plus tard, la promesse semble avoir fait long feu et les logiques sectorielles traditionnelles l’ont emporté, conduisant par exemple les grands groupes de la pharmacie à se désengager des biotechnologies à usage agricole.
Pour autant, le jeu sur les frontières de l’agricole et du médical n’a pas disparu. Il est permanent. Il a une longue histoire que l’on peut retracer jusque dans ces années du 19ème siècle qui virent la conjonction entre seconde révolution industrielle et multiplication des laboratoires de bactériologie, biochimie et physiologie. Il a eu une importance considérable dans la transformation des usages du vivant comme le montre l’histoire de la médecine de la reproduction entre « la ferme et l’hôpital ». Surtout, il a changé de nature et d’ampleur au cours des trois dernières décennies, la période au cœur de cette proposition. Pour nous en tenir à quelques cas actuels, on peut citer l’utilisation des cellules chimères homme/animal pour la création de cellules souches, le développement des « alicaments » ou « nutraceuticals » (aliments aux propriétés thérapeutiques), la multiplication des centres de ressources biologiques et des banques de données à usage mixtes ou encore la visibilité croissante, académique comme politique, des risques sanitaires attribués aux pratiques agricoles et alimentaires.
Un premier objectif des séminaires est donc d’aider à une cartographie de ces circulations de concepts, d’outils, de personnes, de dispositifs d’intervention et de régulation en prenant pour cible quelques-uns de ces développements récents et en les mettant en perspective historique. Mais le travail de frontière implique aussi une tension permanente entre forces unificatrices – la référence aux catégories du vivant « moléculaire » ou plus récemment à celle de l’analyse des réseaux et des systèmes complexes – et des forces ségrégatives – liées à la diversité des espèces, des savoirs, des techniques, des arènes économiques, sociales, politiques et juridiques dans lesquelles s’inscrivent les transformations du vivant. Deux entrées complémentaires seront utilisées pour aborder le rôle du travail de frontière entre agriculture et médecine dans la production scientifique, sa régulation et la fabrique du politique. La première consiste en une analyse de la généalogie de la notion même de vivant : quelles sont ses origines, quels sont les dispositifs discursifs, législatifs et instrumentaux qui lui sont liés ? Comment certains concepts renvoyant au vivant, par exemple ressources génétiques, biodiversité, bioéthique, opèrent-ils ? La seconde approche est une exploration de la façon dont certaines formes d’intervention agro-médicales ont conduit à des déplacements significatifs des régulations économiques, sociales ou politiques.
Cette proposition de séminaire exploratoire fait suite à plusieurs collaborations entre le CERMES et TSV, en particulier un colloque historique organisé en mai 2008 et soutenu par European Science Foundation et portant sur « Veterenary Knowledge Between Agriculture and Medicine ». La collaboration la plus importante a toutefois été une recherche « Transformations des régimes de production dans les sciences de la vie » où nous avons analysé les formes de régulation de la production de connaissances dans différents domaines de la recherche médicale et agronomique. Nous avons notamment montré que les régulations marchandes – dont l’importance croit avec la molécularisation du vivant – s’articulent avec d’autres formes de régulation, sous des combinaisons variables selon les cas : régulations professionnelles, régulations consuméristes/civiques. Des tendances communes s’expriment selon des formes variables en fonction des histoires nationales et des spécificités sectorielles. Le présent projet sur le travail de frontière entre agriculture et médecine s’appuiera sur cette exploration comparative des régulations biotechnologiques.
La forme choisie est celle de quatre ateliers de 1,5 à 2 jours chacun. Ils viseront à réunir des chercheurs français et européens pour faire le point des travaux en cours. Les entrées et thèmes retenus pour chacun de ces ateliers sont les suivants :
1ère rencontre : elle privilégiera le travail généalogique sur les catégories du vivant tel qu’indiqué ci-dessus. La réflexion sur la moyenne durée sera complétée par une discussion plus spécifique des effets épistémiques des développements récents de la génomique, de la biologie à haut débit, de la biologie des réseaux et systèmes pour explorer les imaginaires socio-techniques associés à ces domaines émergents, la façon dont ces connaissances nouvelles déplacent les frontières médecine, agriculture, environnement, tant d’un point de vue cognitif que d’un point de vue symbolique.
2ème rencontre : elle portera sur un terrain privilégié de circulation entre médecine et agriculture dont l’essor prolonge l’essor des sciences de la reproduction, domaine interface par excellence tout au long des Trente Glorieuses, à savoir le développement des pratiques expérimentales concernant l’embryon et ses dérivés (clonage, cellules souches, c-hybrids). L’intérêt de ce domaine tient non seulement à l’ampleur des investissements récents mais aussi à l’importance qu’il a pris pour l’élaboration normative, la réflexion sur les diverses formes de régulation, en particulier le recours aux recommandations, guidelines, avis éthiques, etc.
3ème rencontre : elle portera sur les problèmes d’appropriation et de mise à disposition des ressources biologiques, un enjeu stratégique pour réfléchir la spécificité des nouvelles pratiques biotechnologiques. Si les évolutions de la propriété intellectuelle du vivant (de la brevetabilité) commencent à être bien connues, les relations qui unissent prospection biologique, constitution des banques et commercialisation des ressources biologiques le sont beaucoup alors qu’elles constituent une pièce centrale des nouvelles circulations entre médecine et agriculture.
4ème rencontre : elle portera sur la constitution de la santé environnementale comme objet d’investigations scientifiques légitimes et de débat public. Il s’agira en particulier de revenir sur les débats qui – depuis les années 70 – portent sur les effets sanitaires indésirables des intrants agricoles (pesticides en particulier) dans une double perspective épistémique (la modélisation des faibles doses) et régulatrice (la politique de gestion par le risque).
L’objectif est à la fois de publier les travaux présentés dans un volume spécial et de préparer des projets de recherche interdisciplinaires dans le domaine considéré.
Les équipes IFRIS participantes
INRA/TSV :
- Jean-Philippe Cointet – Doctorant
- Antoine Debure – Doctorant
- Pierre-Benoit Joly – DR2
- Adel Selmi – CR1
- Martin Remondet – Post doctorant
INRA/PRAXis :
- Marc Barbier – CR1
- François Hochereau – CR1
- Patrick Steayert – IR1
CERMES (INSERM-CNRS-EHESS) :
- Jean-Paul Gaudilliere – DR2
- Delphine Berdah – Doctorante
- Maurice Cassier – DR2
Centre Alexandre Koyré (CNRS-EHESS) :
- Christophe Bonneuil – CR1